Louis Cozan invité dans “Par Jupiter”

Mardi  5 janvier, de 17h à 18h, Louis Cozan, auteur de Zéraq et du prochain Coups de Gueule en mer,  est l’invité de “Par Jupiter”, sur France Inter.

Côte nord de l’île d’Ouessant, été 1959, j’ai douze ans. Lové dans un creux d’herbe tendre me protégeant du vent de Nordet, je viens de me faire une promesse : je serai capitaine d’un remorqueur de sauvetage ! Je viens tout juste de finir le roman de Roger Vercel, Remorques, et le décor qui m’entoure illustre naturellement cette sobre cérémonie fondatrice de ma carrière maritime : à moins de deux milles dans le noroît, un rutilant 8300 tonnes des Messageries Maritimes déboule comme une fusée en direction de Dunkerque tandis que, plus proche, rangeant de près la chaussée de Keller, un Liberty peine face au courant de flot qui l’empêche de sortir de la Manche. Je regarde un long moment cette silhouette familière avec une réelle tendresse faussée d’un brin de suffisance, m’imaginant à la passerelle du puissant remorqueur que je commanderais bientôt, manœuvrant habilement pour crocher ce pauvre navire à la peine, ou un de ses frères, et le ramener à l’abri… Mais les rêves d’enfants doivent affronter bien des tempêtes et des courants contraires avant de trouver le havre qui les accueillera. Le mien disparut en route, deux ans après sa naissance, coulé corps et biens en deux mots gribouillés par un médecin de marine au bas d’un imprimé : « Inapte pont » ! Ainsi, de capitaine de cinéma je devins d’abord apprenti mécanicien dans la Marine Marchande, puis la pause du service militaire m’offrît le temps de réfléchir à une autre vie hors des entrailles d’un navire où le regard se heurte sans cesse au métal hurlant des machines. J’ai souhaité travailler sans perdre la mer de vue et suis devenu gardien de phare. J’ai alors retrouvé l’océan de mon enfance et rallumé mes rêves en même temps que j’allumais un feu pour guider les navires. Mais de ma tour, à l’abri des tempêtes, je n’ai plus jamais vu passer de Liberty…